Appel au Président Mohamed Cheikh Mohamed ould Ghazouani Président de la République Islamique de Mauritanie
Objet: Appel pour un règlement juste et équitable des crimes des années 1980 et 1990
À l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance de la
Mauritanie le 28 novembre 2020, le Cadre de Concertation des Rescapés
Mauritaniens en Europe et aux Etats Unis (CCRM-E/USA) et ses
organisations membres lancent un appel urgent pour le règlement de la
période communément appelée « Passif humanitaire », terme euphémique
désignant les violations massives des droits humains (i.e. exécutions
extrajudiciaires, torture, expulsions etc.) à l’encontre des populations
Afro-mauritaniennes entre 1986 et 1992. Les tentatives de résolution
par les pouvoirs successifs sont restées en deçà des demandes formulées
par les associations de victimes et les plaintes déposées devant les
juridictions nationales par les ayants droit des martyrs et les victimes
rescapées d’actes de torture se sont révélées vaines.
Depuis son indépendance, la Mauritanie a été marquée par des
politiques discriminatoires qui ont exclu graduellement les noirs des
rênes de l’État. Cette exclusion a pris des formes violentes en
particulier entre 1986 à 1992 lorsque les populations
Afro-mauritaniennes ont connu des violations graves des droits humains.
Plus de 500 militaires ont notamment été sommairement exécutés. Ces
exactions ont atteint leur paroxysme lors de la nuit du 27 au 28
novembre 1990 avec l’exécution à Inal de 28 détenus alors même que le
pays célébrait l’indépendance nationale. Cette date est devenue
désormais pour nous une journée de deuil à la MEMOIRE des martyrs.
Ces pogroms, menés avec l’intention de détruire, en tout ou en
partie, un groupe « national, ethnique, racial », constituent des actes
de génocide au sens de l’article 2 de la Conventions des Nations unies
sur la répression des crimes de génocide du 9 décembre 1948. Ils entrent
ainsi dans le champ d’application de la Convention sur
l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre
l'humanité du 26 novembre 1968.
La loi d’amnistie n° 93-23 du 14 juin 1993 ̶ adoptée par
l’Assemblée nationale inféodée au gouvernement lui-même complice des
responsables des exactions ̶ a marqué l’irrecevabilité des plaintes
déposées à l’intérieur du pays entre 1991 et 1992. Les recours internes
étant impossibles, les ayants droit et les victimes n’ont pas eu d’autre
choix que de saisir les institutions internationales des droits de
l’homme. Toutes les voies de recours à la Commission Africaine des
Droits de l’Homme et des Peuples et des mécanismes onusiens ont conclu à
l’invalidité de la loi d’amnistie de 1993 au regard du droit
international.
En juillet 2019 et juin 2020, le Comité des droits de l’Homme des
Nations unies[1] et sept titulaires de mandats au titre des procédures
spéciales[2] ont exhorté la Mauritanie à (i) solder de manière
définitive le passif humanitaire issu des événements qui ont eu lieu de
1989 à 1991, notamment en abrogeant la loi n° 93-23 afin d’établir la
vérité sur les crimes commis, d’en poursuivre les responsables et de
leur imposer des peines appropriées, ainsi que de pourvoir à une
réparation intégrale de toutes les victimes et de leurs ayants droit,
(ii) prendre les mesures pour retrouver les personnes disparues,
indiquer si le gouvernement prévoit des politiques publiques tendant à
fournir des informations sur le mandat de la future commission vérité
réconciliation, ses méthodes de travail, ainsi que les tribunaux
spéciaux appelés à traiter les cas relatifs à la justice
transitionnelle.
Le CCRM-E/USA, ses organisations membres, les ayants droit des
martyrs et les victimes rescapées d'actes de torture et traitements
inhumain et dégradant, et MENA Rights Group appellent le Président
Mohamed Cheikh Mohamed ould Ghazouani et son gouvernement á faire du
« Passif humanitaire » une priorité nationale et de prendre toutes les
mesures nécessaires pour son règlement.
Afin de solder définitivement le « Passif humanitaire », nous demandons:
- D'abroger la loi d'amnistie n° 23-93;
- De mener des enquêtes approfondies sur les violations commises
durant le Passif humanitaire, en particulier lorsqu'il s'agit de la
disparation forcée, de torture, d'atteinte au droit á la vie;
- De poursuivre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder au jugement et de prononcer une peine appropriée;
- D'organiser le retour des déportés se trouvant toujours au Sénégal et au Mali, en garantissant le respect de leurs droits ;
- De prévoir la réparation pleine et entière de toutes les victimes et
de leurs ayants droit á la mesure de la gravité des violations et des
préjudices subis.
Nous exhortons toutes les organisations et personnes éprises de justice de soutenir cet appel de justice en signant la pétition.
VERSION ANGLAISE
Letter to the President Mohamed Cheikh Mohamed ould Ghazouani
Object: calling for a fair and long-term resolution of the “Passif humanitaire”
On the occasion of the sixtieth anniversary of the independence of
Mauritania on 28 November 2020, the Cadre de Concertation des Rescapés
Mauritaniens en Europe et aux Etats Unis (CCRM-E/USA) and its member
organizations launch an urgent appeal for the settlement of the period
commonly referred to as “Passif humanitaire”, a euphemistic term
referring to the massive human rights violations (i.e. extrajudicial
executions, torture, deportations etc.) against the Afro-Mauritanian
populations between 1986 and 1992. Attempts by all the regimes that
succeeded one another to address these crimes have fallen short of the
demands made by victims’ associations and the complaints lodged before
domestic courts by the martyrs’ rights holders and torture survivors
have yielded no results.
Since its independence, Mauritania was marked by discriminatory
policies that have gradually excluded the black population from the
reins of the state. This exclusion took violent forms, particularly
between 1986 and 1992, when the Afro-Mauritanian populations experienced
serious human rights violations. In particular, over 500 soldiers were
summarily executed. These abuses reached their peak during the night of
27-28 November 1990, when 28 detainees were executed in Inal during the
country's celebration of its national independence. This date became for
us a day of mourning in MEMORY of the martyrs.
These pogroms, carried out with the intent to destroy, in whole or in
part, a “national, ethnic, racial group”, constitute acts of genocide
within the meaning of Article 2 of the United Nations Convention on the
Punishment of Crimes of Genocide of 9 December 1948. They thus fall
within the scope of the Convention on the Non-Applicability of Statutory
Limitations to War Crimes and Crimes against Humanity of 26 November
1968.
The amnesty law No. 93-23 of 14 June 1993 ̶ adopted by the National
Assembly, which was then tied to a government that was itself an
accomplice of those responsible for the abuses ̶ lead to the
inadmissibility of the complaints lodged domestically between 1991 and
1992. As domestic remedies were denied , the beneficiaries and the
victims had no choice but to resort to international human rights
institutions. Both the African Commission on Human and Peoples' Rights
and United Nations mechanisms concluded that the 1993 amnesty law was
not compliant with international law.
In July 2019 and June 2020, the UN Human Rights Committee[1] and
seven special procedures mandate holders[2] urged Mauritania to (i) take
all necessary steps to definitively resolve the humanitarian
consequences of the events of 1989 to 1991, in particular by repealing
Act No. 93-23 in order to establish the facts of the offences, prosecute
and appropriately punish those responsible and award full reparation to
all the victims and their beneficiaries, (ii) take measures to find the
disappeared persons, indicate whether the government plans public
policies to provide information on the mandate of the future Truth and
Reconciliation Commission, its working methods, as well as the special
tribunals to deal with cases relating to transitional justice.
The CCRM-E/USA, its member organizations, the martyrs’ rights
holders, survivors of torture and other inhuman and degrading treatment,
and MENA Rights Group call on the President Mr Mohamed Cheikh Mohamed
ould Ghazouani and his government to consider the resolution of the
“Passif humanitaire” as a matter of national priority by taking all the
necessary measures to address past violations.
To this end, we urge you to:
- Repeal amnesty law No. 23-93;
- Conduct thorough investigations into violations committed during the
“Passif humanitaire”, in particular in relation to enforced
disappearance, torture, and violations of the right to life;
- Prosecute any person allegedly responsible for these violations, to bring them to trial and to impose an appropriate sentence;
- Organizes the return of deportees who are still living in Senegal and Mali while guarantying the respect of their human rights;
- To all victims and their beneficiaries, provide full and complete
reparation measures that are proportional to the gravity of the
violations and the harm suffered.
We urge all organizations and
individuals who are concerned about justice to support this call for
justice by signing the petition.